Les désœuvrées

16/​04 - 14/​06/​2025

En 1916, dans l’une de ses fameuses notes, Marcel Duchamp défi­nis­sait par l’exemple le « ready-made réci­proque » : « Se servir d’un Rembrandt comme planche à repas­ser. » À l’in­verse des ready-made bien connus, le ready-made réci­proque enten­dait conver­tir une œuvre d’art en objet utili­taire. Comme les ready-made, il n’in­tro­dui­sait pas une diffé­rence de degré mais de nature avec l’ob­jet d’ori­gine : ce dernier ne deve­nait pas plus ou moins ce qu’il était déjà, il était dénaturé. Le ready-made réci­proque n’est resté, pour l’anar­tiste Duchamp, qu’une hypo­thèse. Sa posté­rité n’en est pas moins immense car, de nos jours, il n’est pas un chef-d’œuvre, de Rembrandt ou autre, que l’in­dus­trie cultu­relle n’ait converti, au mieux en bijou, boîte, assiette ou tasse, au pire en set de table, coque de smart­phone, ruban adhé­sif ou papier hygié­nique… Autant d’ob­jets qui, par leur proli­fé­ra­tion, s’im­posent dans notre quoti­dien comme les nouveaux modes d’exis­tence des œuvres origi­nelles, au point d’ef­fa­cer, quand nous les connais­sons, la réalité de ces dernières de nos mémoires.

Le récent travail de Lisa Sarto­rio porte sur la déna­tu­ra­tion de l’art opérée, à l’ère du consu­mé­risme cultu­rel et touris­tique, par ces ready-made réci­proques que sont les produits déri­vés. L’ar­tiste s’était déjà inté­res­sée au deve­nir image des œuvres d’art quand, en 2013, elle avait collecté sur inter­net des centaines de repro­duc­tions diffé­rentes de la Joconde, œuvre comme il se doit la plus parta­gée sur les réseaux, pour créer une compo­si­tion abstraite. Aujour­d’hui, les quatre corpus qui forment Les Désœuvrées sont consa­crés à leur deve­nir objet.

[extrait] texte d’ex­po­si­tion par Étienne Hatt, commissaire d’expositions, critique d’art et rédacteur en chef adjoint d’Artpress